Louis (lulu) Viala

 

 

Il n'est pas utile de s'étendre sur sa vie, ceux qui sont intéressés par ce site l'ont connu. On ne donnera pas de photos, elles sont dans l'album.

Par contre on montrera des documents choisis parmi ceux qu'il a laissé.

 Extrait de naissance ici, avec son livret scolaire (et ses diplomes de medecin).

Doc racontait souvent que, quand il s'est trouvé devant l'officier d'état civil, grand père Viala (jean Louis) ne savait pas quels autres prénoms donner et à pris François Henri ceux des deux témoins.

Quelques souvenirs d'enfance de Doc: j'avais une dizaine d'année, en ce temps là on ne donnait pas d'argent de poche aux enfants, et j'adorai manger de la calentica (pour mes correspondants qui ne savent pas ce que c'est que la calentica, c'est une horreur sucrée à base de pois chiche, un truc espagnol) tu penses bien que si je demandai de l'argent pour acheter de la calentica à la boulangerie ils m'auraient envoyé chez le médecin.

Fort heureusement, j'avais deux sources de financement, l'une c'est que ma grand-mère (la mère de mémé, Catherine Manin) tenait la boulangerie le matin de cinq heures à une heure. elle avait un tablier avec une poche sur le ventre, et elle y mettait la petite monnaie (c'était avant que le fisc invente la caisse enregistreuse avec le droit de vérifier quand il veut) et quand elle remontait à la maison faire sa sieste, je pouvais en général en tirer une poignée...

 qui l'eut cru?

 et ma seconde source, c'est que j'avais mon cousin, Victor Viala, (la quincaillerie de Relizane) pensionnaire au lycée et tous les jours je lui amenai un pain au chocolat ou au raisin.

Les autres copains préféraient de loin les produits de grand-père V. à ceux qui étaient vendus au lycée aussi chaque jour j'en prenais trois ou quatre en disant que c’était pour Victor et je les vendais à mes camarades.

 Victor (dit totor) relizanais des cousins de Relizane (petit neveu de grand père) arrive à Oran comme interne en sixième (donc vers onze ans à cette époque) grand-père étant son correspondant et l’hébergeant les Week-ends.

Il couchait dans le lit de Doc. Il n'avait jamais vu l’électricité, récent orgueil de cette capitale de l'ouest algérien. Il a passé sa première nuit à allumer et à éteindre, tout surpris de cette merveille technique.

 Encore, pas bien bosseur ni courageux et très soucieux de son bien être, le Victor vu par Doc.

Le dimanche soir traîne, mange un peu, a mal au ventre, arrive à convaincre qu'il passe la nuit encore chez eux. Débarque au lycée normalement avec les externes le lundi matin.

Doc se fait appeler tout tremblant dans le bureau du principal "Victor Viala c'est votre cousin?" oui.

vos parents sont ses correspondants? oui.

Savez qu'il a découché?

Doc savait qu'il avait passé la nuit chez lui, mais savait pas ce que signifiait "découcher".

Craignait le pire. Dans le doute, affirme qu'il ne savait rien. Ce qui confirme les soupçons du principal lequel demande à voir immédiatement le correspondant.

Grand-père se fait engueuler. Déclare qu’il avait le gamin chez lui. Sur la foi des paroles de Doc, ( et sans doute de la mauvaise réputation de grand-père?) le principal suppose le pire.

Bref le seul puni fut Doc, qui depuis n'ignore plus la signification de "découcher".

 

Doc ma mère, mémé, disait souvent "les paroles n'ont pas de couleurs".

??

Voui voui, elle disait ça quand on s’arrêtait de faire ce qu'on faisait pour se regarder parler elle disait, faut faire des choses, on peut très bien parler et agir en même temps, pas la peine de se regarder, "les paroles n'ont pas de couleur".

 Finalement, dans cette période on vivait très bien, on avait pas mal d'argent, on allait en france presque chaque année, ils n'étaient pas nombreux les Oranais qui pouvaient aller en france chaque année, on était amis avec le gratin d'Oran, un commerçant, même boulanger, était considéré. (faut dire, mais Doc est discret sur le fait que grand-père était franc maçon…)

 

 Les Typhoïdes de Doc:

Ah mes typhoïdes, la première j'étais fiancé, (en fait pas officiellement, donc en 1.932, 19 ans...) le docteur avait dit à ma mère que je ne passerai pas la nuit, j'avais fait deux hémorragies intestinales, il y avait à coté du lit une baignoire pleine d'eau glacée pour essayer de diminuer la température, j'avais plus de 41.

Quand je me suis remis je pesais à peine cinquante kilos pour mon mètre 80.

une fois remis, je prenais le car pour aller à Mostaganem, il y avait deux lignes de car, Ben Mabrouk et Lopez, les deux cars étaient au départ à magenta, le chauffeur attendait que le car soit plein pour partir, le premier plein (et plein c'était plein, les gens debout, du monde sur le toit) partait le premier.

une fois c'était tout de suite après ma typhoïde, je prends le car, arrivé à la macta, à 20 kilomètres de Mosta je vois une roue qui s'enfuit, en même temps le car était secoué, il s’arrête péniblement, c'était bien nous qui avions perdu la roue.

Le chauffeur n'avait rien pour réparer, il arrête une voiture pour porter le message à Mosta et demander un car de secours on était tous descendus, quand arrive le car de l'autre compagnie, il s’arrête, on veut monter, le chauffeur accepte contre paiement, mais les seules places, c'était sur le toit, avec les bagages, comme j'étais motivé j'ai accepté, quand je suis arrivé à Mosta, accroché au toit avec trois ou quatre autres, je me suis taillé un grand succès.

ICI on a un exemple de la cour faite par Doc à Mummy, c'est l'analyse astrologique des deux impetrants, l'analyste avait bien compris ce qu'il fallait mettre, celle de Doc est formidable, à la fin il devient célèbre, celle de mummy, la seule en ligne, Doc l'annote dans son sens.

Il se marie avec la petite Gasset en 1934 nous avons un film du mariage et de nombreuses photos. Et le livret de famille, ICI. Ils vont vivre ensemble à Alger, chemin Yousouff, ils y resterons 5 ans c'est là que je suis né. (avec un cordon autour du cou, Doc racontait comment il était anxieux, et dans la salle de travail, son copain chargé de l'accouchement lui tapait sur le ventre en le consolant sur le thème, tu sais tout ça est bien naturel, et tout à coup se précipite sur moi, tout bleu, qui venait d'apparaître étranglé.). ici diplome medecin. (même liste que les extraits de naissance)

c'est au cours de ces études que Doc a noué des amitiés qui dureront toute la vie, Dumazer, (et sa femme aussi medecin, Suzanne) Destaing, dit zozo, Vialet, Duzerre...

A la fin des études c'est le service militaire, on a là tout le dossier, en deux parties, 1939/1940 à Alger puis Rabat, la drôle de guerre, puis la seconde partie, 1943/1945 la libération.

Après (vers 40 avant 43) j'ai fait une para typhoïde type A, encore hémorragie intestinale, Juan avait diagnostiqué, mais il m'a dit, je ne sais rien faire, il faudrait ce nouvel antibiotique, l'auromycine qui parait-il fait des miracles. Ca me rappelle que mon ami d'Alger zozo Destaing m'en avait parlé, il testait l'antibiotique à l’hôpital d'Alger, Mummy lui a téléphoné, il nous a envoyé ça en urgence, j'ai été remis sur pied en quelques jours.

Après sa libération, Doc et Mummy viennent à Mostaganem, où Doc ouvre son laboratoire, il me semble qu'il n'a jamais bougé, qu'il a toujours été place de l'église (enfin, place de la république). Ils vivaient dans un immeuble appartenant à Francis, en face il y avait Raymonde Cuq qui avait perdu son mari en 1933, avec Jacqueline Cuq future André et Philippe. J'ai des souvenirs de cet immeuble, jeune, et puis bien plus tard, adolescent, j'avais une amie Maryse Benguigui, elle faisait partie de notre groupe, elle aimait la vie, un soir je l'ai ramenée complètement saoule, elle vomissait depuis le troisième étage par dessus la rampe ça s'écrasait en bas.

 Doc raconte qu'en 1.940, papa Sis (le père des Garaboux papa André et Marcel) avait été nommé par le gouvernement (pétainiste) adjoint au maire de Mostaganem, il était chargé des problèmes sociaux en particulier des problèmes de santé publique.

Doc le décrit du genre bouledogue, prenait les problèmes un à un, les étudiait, ou bien faisait rien parce qu'il n'y avait rien à faire, ou bien décidait ce qu'il y avait à faire, et dans ce cas, fallait qu'il soit obéi à la minute, sans objections ni murmures.

Or donc, dans le cours de ses examens des problèmes se rend compte que la ville de Mosta est dépourvue de bureau d’hygiène, alors qu'elle avait dépassé la taille qui le rendait nécessaire.

Par l’intermédiaire de Jess (Jules Viala), contacte Doc et Martin les deux médecins qui avaient les diplômes nécessaires. Martin se récuse, vu sa clientèle, Doc qui "avait plus d'escaliers à monter que de clients" accepte.

Et hop en quelques jours le bureau est créé, local, personnel (dont des infirmières visiteuses) et ça roule. Quand, début 41 éclate une épidémie de typhus.

Sacrée maladie, provoquée par les poux de corps, de très jolis poux, bien plus gros que les poux de tête, avec une croix noir sur le corps, bien plus gros aussi que les célèbres morpions qui eux ont des espèces de crochets, impossible de les enlever, d'où leur réputation.

Les gens me portaient leurs poux dans de petites boites en verre, pas un de ceux qui me portaient leurs poux n'a attrapé la maladie.

C'était une dure maladie, un bon tiers en mourraient, surtout les arabes, manque d’hygiène et mauvaise alimentation, fallait boire au moins trois litres par jour, le malade était dans le comas, avec des 41 de température, si on le faisait boire au bout de quelques jours il était guéri.

C'est comme ça que Juan, retour de Narvick via Londres, qui était médecin militaire dans le sud Oranais a été guéri, il a diagnostiqué son typhus, il a dit à sa femme, j'ai le typhus, ce n'est rien, tu vas m'en sortir, d'abord ne les laisse pas m'évacuer, ça ne sert à rien, de toute façon là bas il n'y a rien non plus comme médicament, et le transport (mulet puis train) ça risque de me faire du mal, simplement tu me fais boire trois litres par jour, tu ne me laisses pas tranquille tant que je n'ai pas bu mes trois litres, quand je les ai bu, tu fais ce que tu veux, je ne te reconnaîtrais pas, j'aurai peut-être des délires, je ne te reconnaîtrais pas, mais ne crains rien, si tu me fais boire dans une semaine je serai guéri.

Et tout c'est passé comme ça, quelle formidable confiance dans la médecine.

Par contre nos collègues de Mostaganem, sur quatre qui ont attrapé le typhus, trois en sont morts, ils me disaient j'ai le typhus, je suis foutu, je leur disais mais non une chance sur cinq et encore, mais ils ne me croyaient pas, ils faisaient leur testament et ils mourraient, comme quoi le moral c'est primordial dans la lutte contre la maladie.

Au bureau d’hygiène on ne chômait pas, il fallait aller voir tous les typhique, les collègues me les signalaient, j'essayais de délimiter les zones les plus gravement atteintes. Les plus malades et qui souvent mourraient, c'étaient ceux qui n'avaient rien vu, ils n'avaient pas vu de poux dans la maison ni sur eux, ils ne comprenaient pas ils mourraient sans savoir.

Par contre, ceux qui faisaient attention, faisaient la chasse aux poux, ils s'en sortaient le plus souvent.

Moi tous les soirs, je prenais une longue douche et je me surveillais, une seule fois j'ai trouvé deux poux sous mon aisselle, on a attendu mais je n'ai pas eu le typhus, sans doute ils ne m'avaient pas piqué.

Les coins les plus dangereux, c'étaient les bains maures (en plus des bains on loue des lits) on y allait en groupe, deux ou trois aides ou infirmiers et moi, on était couvert complètement, avec des masques, des trucs en caoutchouc blanc, on faisait lever les gens, ceux qui ne se levaient pas, on leur donnait un coup de pied pour voir s'ils réagissaient, pas question de les secouer avec les mains, on risquait trop de récupérer des poux, ceux qui gueulaient et nous injuriaient, ils pouvaient partir, d'ailleurs quand on leur expliquait ils arrêtaient de gueuler et ils filaient à toute vitesse, (après un bon bain) mais ceux qui ne bougeaient pas c'étaient les typhiques en pleine crise, on en a ramassé des dizaines, on les menait à l’hôpital, beaucoup mourraient.

Après quelques semaines, on a eu des vaccins fabriqués à l'institut pasteur d'Alger, on a commencé à vacciner systématiquement la population, les amis voulaient se faire vacciner en premier, c'est comme ça que j'ai vacciné madame Serveille qui a attrapé immédiatement le typhus et a failli en mourir, aussi francisque Garaboux m'a demandé d'aller à sa ferme d'en Aro vacciner son personnel (a dit Jean, je m'en souviens très bien, c'est l'année complète que nous avons passé à la ferme, que c'était bien) ben non dit Doc, je n'ai vacciné que des adultes, surtout des arabes, bref les souvenirs sont incertains.

Et puis on a commencé à vacciner par quartier tout le monde, les gens se mettaient rang, et on les piquait à l'épaule, un jour une de mes infirmières, madame Garin, elle parlait l'arabe de façon impeccable, elle me dit, regardez la vieille femme qui arrive, c'est au moins la troisième fois qu'elle se fait vacciner, ah bon pourquoi, elle croit que c'est plus efficace quand on se fait vacciner plusieurs fois, non répond Garin, c'est parce que pour que les gens viennent on leur donne un kilo de sucre, elle en veut plusieurs.

 Méadeb était médecin à Mostaganem, en gros de l’âge de Doc, se faisait une clientèle avec des piqûres d'eau distillée à ses clients, en majorité arabes.

Pendant la guerre, il y avait pénurie de tout, en particulier de lait condensé, il n'était délivré qu'aux jeunes accouchées sans lait, sur délivrance d'un certificat médical. Doc était au bureau d’hygiène, devait surveiller la validité des certificats, Meadeb en faisait des paquets, Doc convoquait par sondage les bénéficiaires, il avait une infirmière qui leur faisait sortir le sein et pressait dessus, Doc se mettait en colère, madame l’infirmière quand vous faites ça faites attention vers où est dirigé le sein, vous m'inondez...

Bref certificats de complaisance, à tel point que le médecin d’Oran qui voyait les certificats et distribuait le précieux lait lui demande de qui de quoi (à lui tout seul fait la moitié du département!!) il décide de venir lui faire la morale, Meadeb est convoqué, le médecin lui demande pourquoi il fait tant de certificat, Meadeb répond "c'est quand même pas ma faute si j'ai la plus belle clientèle du département" le médecin chef n'a pas su quoi répondre, il a laissé courir...

 

Ensuite 1942, débarquement américain, c'est le jour même de ce debarquement qu'est morte Marie Viala, la copine de Mummy, qui laissait trois enfants Morard. Doc est rappelé, la suite de ses pérégrinations militaires.(même documents que ci-dessus).

Doc: "en 1.943, après le débarquement des américains en algérie et avant le débarquement d’Italie, ce devait être en été 43, les communistes qui étaient venus de france avaient demandé à épurer les partisans du PPF (Doriot) à Mostaganem.

Nous connaissions pierre Jobert et mon cousin Jules qui avaient des responsabilités dans ce parti à Mosta, ils étaient tous les deux en france à ce moment.

Alors ils ont arrêté le frère de Jules, Frédéric, qui n'avait aucune activité politique, mais qui avait une carte du ppf pour faire plaisir à son frère (Doc le dit pas, mais lui il avait pas fait plaisir à son cousin...)

Comme je connaissais le sous préfet, à cause de mes responsabilités au bureau d’hygiène et à la défense passive, j'ai été le voir et il m'a expliqué qu'il ne pouvait rien faire, que si Jules avait été là il n'aurait pas arrêté Frédéric, mais qu'il était obligé par les communistes (il m'a bien dit communiste...) de l’arrêter.

Quand Jules est revenu de france, il a été arrêté aussi, mais ils n'ont pas relâché Frédéric.

Ils étaient tous dans un camp de concentration, prés de Sidi bel Abbés, et moi une fois mobilisé, j'ai été muté à Bel Abbés.

Ta mère et toi vous y étiez aussi, nous étions logé chez un avocat, ami de grand père Gasset. (Marie aussi? sans doute).

C'est là que j'ai vu à l’hôpital Frédéric, il avait une tension terrible, il est mort sans qu'on sache vraiment pourquoi, il avait un taux d'urée énorme, il est mort dans cette chambre d’hôpital avec deux soldats pour empêcher qu'il s'évade devant la porte. Il a été enterré à Bel Abbés, à l'époque on ne promenait pas les cercueils.

Pierrot Jobert était resté en france, il a été arrêté à la libération, il a été à fresnes, il a été jugé et condamné à donner son usine à sa sœur (!), épouse de Puech Samson, quand de Gaulle est venu à Mostaganem en 1958, comme il habitait au quatrième étage de l'immeuble juste en face de la mairie, nous sommes allés chez lui pour assister au discours, nous étions tous très heureux, nous crions vive de Gaulle, lui seul faisait la gueule, je lui demande pourquoi tu n'es pas content?

ah me dit-il, quand j'étais à fresnes, nous étions nombreux, nous avons beaucoup discuté de cet homme et de sa personnalité, nous pensons qu'il n'a ni parole ni idéal, il ne pense qu'à lui. Bien sûr nous avons pensé que la rancœur le faisait parler, on n'écoute jamais assez les Cassandre."

 

Doc ne racontait pas souvent sa guerre, il a pourtant été débarqué au sud de Naples, il était dans un hôpital pas loin de la ligne de front lors de la fameuse offensive du Garigliano, c'est lui qui a connu la blessure de Daniel Biscuit et est intervenu auprès du chirurgien pour qu'on lui sauve une des deux jambes.

Il préférait raconter l'accueil sympathique des jeunes femmes italiennes, et montrait un petit livre en français que l'une d'elle lui avait offert.

Après la prise de Naples il a rembarqué pour débarquer vers Saint Tropez, puis la prise de Toulon et de Marseille, la remontée par la vallée du Rhône, la trouée de Belfort, l'Alsace. Il ne racontait que des histoires drôles, les jeeps volées aux américains, les camarades et leur recherche de la nourriture. Il était devenu un expert en transfusion sanguine, une technique toute nouvelle que les américains amenaient avec eux, et avec un chauffeur et une jeep il allait dans les villes et les villages libérés recueillir du sang, il n'a pas gardé une forte impression de la solidarité de la population métropolitaine à l'égard de l'armée d'Afrique. Une fois, dans le brouillard, ils se sont perdus et se sont retrouvé au milieu des lignes allemandes, il a fallu faire fissah.

Quand l'armistice est venue, il y avait un paquet de formalités diverses, ensuite fallait attendre un bateau, il est rentré par ses propres moyens grâce à des amitiés aéronautiques, c'est tout juste s'il n'a pas été traité en déserteur en arrivant à Mostaganem. Par contre ses papiers militaires sont impeccables, il est noté "en mer" à la place de son avion, l'administration toujours. 

La troisième typhoïde para B, encore plus tard, Juan diagnostique tout de suite, il me dit tu fais la typhoïde de Martinez, c'était un de ses clients qu'il avait soigné, c'est moi qui avait fait les analyses et les prélèvements, je m'étais contaminé, Juan m'a guéri vite fait, il avait mis au point le traitement avec Martinez.

C'est sans doute à cette date que Doc et Mummy déménagent et s'installent (avec Michèle, nouvelle venue) aux quatre chemins, la villa des Dauge, un couple excentrique vivant pour l'essentiel à Paris. C'est de cette villa que j'ai le plus de souvenirs d'enfance, en particulier animaliers, les chats, les tortues.

  Quand Doc rejoint Mosta, en Mai 1945 a commencé une période de calme et de prospérité. Doc a su se ménager une clientèle de médecins, il allait voir ses confrères des petites villes des environs, Relizane, Tiaret, il savait expliquer qu'il donnait un meilleur service que les pharmaciens locaux, limités dans leurs explorations, alors qu'il s'équipait de nombreux appareils. il avait organisé tout un système d'envoi des prélèvements par autocar, dans des boites réfrigérées, il avait des infirmières correspondantes qui faisaient les prélèvements pour lui, il couvrait l'essentiel de la partie est du département d'Oran, la totalité du futur département de Mostaganem.

J 'ai souvenir de lui avoir traduit la notice de montage et d'utilisation d'une machine de "métabolisme basal" dont toute la doc était en anglais, je crois que dans les années 57, marie a fait de même pour un des premiers analyseurs automatique.

 

Le Bridge:

Doc: "Quand j'ai commencé à m'intéresser au bridge, il y avait à Mostaganem un cercle civil (par opposition au cercle militaire) qui était un vieux truc, dirigé par de vieilles personnes, dont le seul but était de boire, de dîner et de discuter dans un cadre tranquille, en particulier loin de leurs femmes.

C'était juste après la guerre.

Avec les jeunes de l'époque, les Garaboux, Dubern, Jobert, on a fait un putsch, on a pris le pouvoir, on a fait des réformes fondamentales, par exemple autoriser le cercle aux femmes (on a eu des défections...) et faire entrer les jeux de cartes."

la saga de l'hopital commence en 1947 et dure onze ans. On y voit à quoi tiennent les choses quand l'administration s'en mêle, Doc n'a jamais été officiellement Directeur du labo d'analyse médicales de l'hôpital de Mosta, un poste qu'il a tenu 15 ans. C'est un des rares dossiers qu'il a conservé en totalité, ça a dû lui tenir à coeur.

documents divers, le grand tour de 1952 . (Les passeports et les visas). En 1952, mis à part la saga hospitaliére, tout baigne, le laboratoire rapporte de l'argent, Doc et Mummy investissent dans une villa rue des orangers, une maison de campagne à Vichy, ils ont de beaux enfants, ils sont dans le top bourgeois de la ville de Mostaganem, président du club civil, champion de bridge, président des parents d'éléves du Lycée René Basset, ils se lancent dans un grand voyage avec tout un groupe d'amis (5 voitures). Il y a là Francis et Simone, Daniel, Giséle et leur fils Christian, Dusseigneur avec leur fille, les Pauly. Un album de photo a été consacré, je l'ai, le tour était Marseille, Turin, les lacs, Milan, Padou, Venise, Le grossklockner, Salsbourg, Linz, Vienne, retour via Insbruck, Constance, Lucerne, Lausanne, Geneve, Besançon, Vittel. C'était à l'époque un rien héroique, le tourisme de masse n'était pas inventé, il y a eu pendant des années des photos agrandies de ce tour au mur, en particulier Doc au pied du campanile de la place Saint Marc.

Mummy a emmené ses trois petites filles grandes en refaire un bout, les lacs italiens et venise, vingt ans après. Pour moi, j'étais furieux de ne pas être du voyage, alors que Christian en était, j'avais pas mesuré le coût , ils m'ont mis au lycée protestant du Chambon sur Lignon reviser mon bac premiére partie que j'avais loupé.

De ce tour, ils racontaient de nombreuses histoires, en particulier que Doc était le seul parlant l'allemand, mais son allemand scolaire était bien oublié, un jour voulant commander une omelette, il eût un porto flip avec trois oeufs, mummy adorait raconter ça, elle insistait sur le fait qu'un porto flip de trois oeufs, ça faisait presque un litre .

 

Mummy: quand on a fait construire la maison de la rue des orangers, Doc a absolument voulu un haut mur tout autour pour qu'on ne voit pas ses femmes, l'architecte Serveille était contre, mais Doc a fini par faire faire ce qu'il voulait, c'était comme un blockhaus.

Ah oui dit André Muller, quand j'étais militaire à Mostaganem, j'allais de la caserne colonieu au cinéma cinémonde, je passais le long de ce mur, je sentais que cette maison allait jouer un rôle dans ma vie. Ils ont vendu la maison après l'independance, j'ai repris leurs souvenirs dans mon livre, ils l'ont vendu le montant qui restait à rembourser sur le prêt.

aussi Mummy, le couscous c'est terrible, Doc aimait beaucoup le couscous, il se précipitait dessus, il avalait à toute vitesse, une fois il est resté presqu'asphyxié on téléphonait à Juan pour savoir quoi faire, Doc s'est mis la tête en bas et le couscous a dégagé la trachée artère.

Depuis il fait attention à pas avaler son couscous trop goulûment.

Doc, j'avais en bas du laboratoire un petit arabe qui "gardait" ma voiture, je lui donnais quatre sous tous les jours pour qu'il puisse manger, à un moment j'ai acheté un scooter, un des premiers vespa, il le gardait pareil, un jour je lui propose de faire un tour, il monte derrière sur la selle, et nous faisons ensemble le kilomètre qui nous séparaient de la maison.

Il me dit " c' est ta maison? " oui, ah ce qu'elle est belle. Je sonne pour qu'on m'ouvre, je n'avais pas la clé, renée vient m'ouvrir, il dit "c'est ta femme?" oui, ah ce qu'elle est belle, Rhaïra la bonne vient aussi ouvrir en passant par le jardin, elle avait entendu la sonnette, il me dit "c'est ta bonne?" oui Oulalalala...

c'est vrai qu'elle était pas bien belle Rhaïra.

 

Au plus dort, le laboratoire employait trois laborantines, une secretaire, un garçon de course en plus de doc. Le premier laborantin qu'il a eu, Ahmed est resté son ami jusqu'à leurs morts.

Mummy raconte : Encore : Ahmed, le laborantin de doc, il était d'une grande famille (kougoulis, c'est à dire partie turc, partie berbére) mais il était orphelin, sa mère était seule pour élever trois enfants, quand doc l'a pris comme coursier (au début) il était ravi, ça faisait un peu d'argent à la maison.

Puis il y a eu la guerre, doc a été mobilisé, il a fermé le laboratoire, ahmed s'est retrouvé de nouveau sans travail et sans argent, il s'est mis docker pour gagner quatre sous, il était tellement maigre que je (mummy) lui donnait à manger presque chaque jour, il venait manger avec la bonne à la cuisine.

Après la guerre doc l'a repris, il l'a formé comme laborantin, et vers les années 55, ahmed avait bien 30 ans ; il a fait un très beau mariage la fille unique d'un riche bijoutier, une petite cousine.

Il a repris la bijouterie, mais dans les conditions du mariage, il y avait qu'il donnerait à élever à son beau-père son deuxième fils, c'est ce qu'il a fait. Ce deuxième fils n'a pas été une réussite.

En tout ahmed a eu 9 enfants, et aux dernières nouvelles 21 petits enfants.

Son fils ainé a envoyé à mummy une très émouvante lettre pour la mort de doc.

 

Je me souviens que Doc m'avait fait lire une belle lettre d'un chef de zaouia, qui le remerciait de ne pas lui avoir fait payer ses examens (doc ne faisait pas payer les religieux) , c'était fleuri de benedictions, mais il y avait au milieu une phrase comme quoi Doc agissait conformement au génie seculaire de la france, et à son rôle en algérie , ce devait être au tout début des évenements, je ne l'ai pas retrouvée dans les papiers, dommage.

 aussi: les derniers temps, en 1.962, l'armée n'avait pas le droit de sortir de sa caserne aussi de temps en temps pour faire peur aux gens de la force locale ou aux incontrôlés, il leur arrivait de tirer en l'air, un matin j'arrive au labo et je trouve une balle qui était retombée sur le balcon, je croise mon voisin dans l'escalier, il habitait au dernier étage, un appartement sur la terrasse, il dînait souvent sur la terrasse , il me dit m'en parlez pas docteur, hier soir il y en a une qui est tombée dans ma soupière.

 

Champs Roubeaux c'était la maison de vichy, Doc et Mummy ont décidé d'acheter un truc dans la région de vichy en 53, donc pas de liens avec l'insurrection, ils avaient chargé Francis Biscuit, l'homme d'affaire étalon de la famille de chercher, courant août Francis téléphone, j'ai trouvé l'affaire du siècle, pas loin de vichy, mignon, bon marché mais à saisir de suite.

Il explique c'est un juif qui se protégeait des persécutions grâce à ses relations au gouvernement de vichy, il a passé là les plus noires années de sa vie, dès la libération il a quitté vichy et la maison pour ne plus y remettre les pieds, il la prêtait à des relations politiques ou d'affaire, mais ça lui faisait des ennuis parce qu'il fallait que quelqu'un mette le truc en état, là il est ennuyé parce que deux de ses amis veulent la maison en même temps, il ne veut mécontenter aucun des deux, il faut qu'il puisse dire que la maison n'est plus à lui.

Francis envoie une photo (elle est dans l'album, recto verso, "la batisse"). Doc donne son accord, Francis signe, et comme il y avait un long pont autour du 15 août, Doc décide d'aller quand même la voir cette maison, et ils partent, Doc Mummy les deux petits (les deux grands étaient en Angleterre).

Sur la route entre Mosta et Oran, Michèle toute excitée se dresse brusquement et crie à pleine voix

: "et en route pour la grande aventure".

la maison leur plaît, ils sont tout content, mais arrive la femme (?) du juif qui leur dit, mon mari m'a donné les meubles je viens voir si vous voulez en acheter quelques uns et me mettre d'accord avec vous pour la façon d'enlever le reste.

Doc (qui n'est pas un homme d'affaire) discute, finalement il garde tout, pour dit-il exactement le même prix que celui de la maison, 110.000 francs (tout nouveaux la réforme était fraîche). Il n'y a rien dans les papiers laissés concernant ces transactions.

 

Après l'indépendance Doc a essayé de rester (lire mon livre, ses souvenirs) puis il s'était mis d'accord avec son ami Duzerre, aussi biologiste, pour acheter ensemble un cabinet de biologie, ils ont fait pas mal d'endroits, Doc était prêt de traiter avec un médecin du Mans qui avait montré une grande sollicitude pour le sort des pieds noirs. Mais dit-il Mummy n'avait pas envie de s'installe dans le Nord et son frère Jean lui avait procuré une opportunité comme médecin salarié à la SNCF.

A la SNCF Doc a beaucoup souffert de l'administration, il était en lutte permanente avec ses laborantines, il ne supportait pas de ne pas être maître de leurs carrières et de leurs rémunération, il accusait la CGT de rendre la vie impossible. Il n'y a rien dans les papiers concernant la SNCF, sauf le certificat de travail, quand il l'a quitté. (après les passeports du grand tour).

Il a fini par s'y faire.

Ils ont eu deux logements successifs, le premier une location boulevard Sakakini, la deuxième un appartement réservé aux cadres de la SNCF aux chutes Lavie, puis Mummy l'a convaincu de vendre Champs Roubeaux pour acheter le Brulât.

Ils avaient un projet, avoir quatre appartements en location, de façon à nous en donner un à chacun à leur mort, petit à petit ils ont dû vendre ces appartements, pour acheter au Beausset.

 

 En somme Doc a été fidèle en amitié toute sa vie, il s'est intéressé à son travail plus comme source de revenu que comme sujet d'intérêt autonome, il a beaucoup joué au bridge, atteignant un niveau régional.

Il faisait peu de sport, un peu de tennis.

Il s'est occupé de ses parents jusqu'à leur fin.

Le drame de sa vie a été l'abandon de l'algérie, qui l'a plongé dans le désespoir, au bord de la misère, qui l'a obligé à travailler jusqu'à 66 ans, et dont il ne s'est jamais remis.

On trouvera ici une idée sur ce que fût l'indemnisation des pieds noirs. Une creance de 56.270 francs 1962 est remboursée 2767,62 francs 1977 soit environ 1,5% de la valeur actualisée...

Il ne s'en cachait pas, mais n'insistait pas dessus, c'est après sa mort et en triant ses papiers que j'ai vu qu'il était membre de quantités d'associations datant de cette époque, en particulier des "amis de Raoul Salan";

En sa mémoire, j'ai repris toutes ses adhésions.

Doc a senti venir sa mort, il a quitté la maison du Beausset pour venir dans une résidence logement pour personnes âgées à Versailles, près de nous, il voulait que Mummy n'ait aucun problème sans lui, mais Mummy n'a pas survécu à sa solitude.

C'est une carte de Doc, accompagnant sans doute des fleurs, 65 ans de bonheur, ça doit mener vers 1999/2000 au moment où ils partaient à versailles.